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L’interminable Attente



Il fallut attendre de longues semaines pour atteindre le quota des cinq danseuses requis pour les premiers salons.

Clélia, Mélodie, Norma furent tour à tour baptisées et rejoignirent la blonde Ève et la tropicale Soraya.  Ces trois nouvelles Dance-Bot avaient été créées conformément aux voeux de notre vénérable assemblée, empruntant leurs caractéristiques essentielles à d’anciennes danseuses stars du théâtre Chochotte. Clélia, jolie brune naturelle, avait de nombreux points communs avec la sympathique Jane de l’année 2014. Mélodie évoquait la petite Mona de 2017, sa chute de rein ahurissante et son regard à faire exploser « les boutons de braguette », tandis que Norma rappelait Mimi, danseuse exubérante adulée par de nombreux clients entre 2018 et 2021 …

Excités par la perspective de contacts privés plus intimes que ceux de la salle, de nombreux frères s’improvisèrent soudainement menuisiers, peintres et décorateurs. Trois salons furent créés en un temps record, les deux premiers, petites pièces chaudes au décor rococo sans séparation et disposant d’un large divan, le troisième imitant un salon thaïlandais avec sa table de massage professionnelle.

Il fut décidé que les salons seraient ouverts conformément à un agenda prédéterminé et que chaque membre disposerait d’un quota de quatre unités de plaisir par mois, c’est-à-dire de quatre demi-heures. Il y eut évidemment des protestations, c’était peu, trop peu, mais notre Vénérable Guide rappela l’objet de notre projet initial : entretenir le désir et non satisfaire des plaisirs.

Depuis l’Effondrement, l’argent n’existait plus. De plus les Dance-Bots n’en avaient pas l’utilité, leur seule motivation se portant, en plus de l’alimentation courante, sur des granulés énergétiques dopant les performances de leurs processeurs GPU.

Issu de la grande bourgeoisie versaillaise et d’une école prestigieuse, le mariage de JiBé l’avait durant les années fastes propulsé vers les sommets de l’Olympe financier. Malgré son âge avancé et les épreuves récentes de l’Effondrement, il portait beau ses longues mèches poivre et sel et son élégant costume bleu-roi. Désormais privé de ses moyens financiers, il gardait – au sens Bourdieusien du terme – une aisance relationnelle et un capital symbolique hors norme. Vaguement séducteur, il tenta d’abord d’échanger l’une de ses montres de luxe, sauvée du naufrage, contre des unités de salon. Mais aucun de nos Frères n’aurait troqué le moment érotique tant attendu contre ce qui lui apparaissait désormais comme une vulgaire verroterie – d’autant que la flèche du temps des âges industrieux et de la fiction appelée « Progrès » n’avait plus lieu d’être. JiBé tenta ensuite de soudoyer Suricate (*), notre trésorier, afin de prélever discrètement de l’intendance des sachets de granulés à fort potentiel énergétique, qu’il pourrait plus tard offrir à ses nouvelles protégées. La manœuvre échoua, Suricate était incorruptible et JiBé, convaincu comme par le passé de l’évidence de son élection divine, absolument certain que les signes de la Providence se manifesteraient bientôt, temporisa ses manoeuvres …  

De mon côté, malgré mon travail acharné à la programmation des « nouvelles » Dance-Bot, mon esprit s’était arrêté sur Ève. Depuis son baptême puis son duo avec Soraya je ne pensais qu’à elle, à son sourire espiègle, son corps aux courbes pleines de promesse… Je pensais à ce lendemain tout proche, à notre premier salon… Son corps, ses hanches, ses opulents seins laiteux, ses lèvres douces, ses doigts fins… les miens hésitants, son regard m’engageant … Cette interminable attente me faisait perdre tous mes moyens…



(*) Suricate est le surnom de notre trésorier-intendant, surnom faisant référence au petit mammifère carnivore cousin de la mangouste, nommé aussi « sentinelle du désert », parce souvent dressé sur ses pattes arrières dans une posture immobile et vigilante, que notre Frère trésorier, du fait de sa petite taille, prend systématiquement pour mieux observer les duos.

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