Après quatre années je revenais. À nouveau la Fontaine Saint-Michel, son décor rococo, l’archange au doigt levé, son glaive menaçant, terrassant du pied un diable, bien trop petit pour symboliser efficacement le Mal. À nouveau la rue serpentine, avec à main gauche le libanais et ses savoureuses keftas, la crêperie « une nature avec un peu de sucre », à main droite le café Latin, ses savoureux expressos, le cinéma Saint-André-des-Arts et sa programmation vintage, la boutique aux odeurs de savon jouxtant l’antre des plaisirs …
Je m’engageais à nouveau dans le long couloir ocre, poussais sa porte à battants, apercevais la caisse. Une jolie jeune femme m’accueillait de sa voix douce : « C’est 65 euros, ne perdez pas le ticket si vous voulez sortir et revenir ». Rien du décor n’avait changé. Les peintures murales des Enfers, l’escalier de pierre menant à la crypte, les deux rangées de banquettes aux tons rouges, quelques visages familiers fossilisés par Méduse, le dénivelé de la scène, sa fosse aux lionnes plantée d’une barre de pole-dance, le canapé, l’âne intemporel, les tapis et tentures, le vitrail sous voute, la gargouille verte dans sa niche, tirant la langue, tout ce kitsch savoureux mêlant les Milles et une Nuits au pêché chrétien.
Mais ma plus grande surprise venait de ce qui fait véritablement le Chochotte : si chaque messe de cette crypte est différente par ses danseuses, la liturgie reste la même, conférant au lieu son âme, son caractère intemporel et sacré.
Les notes de la Valse des Monstres de Yann Tiersen égrainées par le xylophone animent la poupée, La Maîtresse ivre oblige sa servante, Gustave le jardinier participe de bonne grâce au spectacle, la Mort séduit et ravi les générations de jeunes femmes, renaissantes au rôle de la Jeune Fille. Une conception classique et attendue de l’érotisme provoque le lâcher prise, tandis qu’officient les délicieuses succubes de notre messe en latin. D’où surgit parfois le miracle : la transsubstantiation dans l’athanor de l’érotisme, le moment où l’Esprit investit si parfaitement la forme qu’il se fait Art, que la poupée transcende tout le déjà-vu (merveilleuses Anoushka, Angélique, Lou etc.), au point que le temps se fige dans l’éternel présent de la transe, et que l’on se demande plus tard si l’on n’a pas rêvé.

2 replies on “Retour au Chochotte”
[…] encore difficile. La grande qualité de celles-ci, ajoutées à que je partage dans ce texte (lien ici) font du théâtre Chochotte ce qu’il est : une ode à la féminité. Le soin apporté aux […]
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[…] une absence de cinq années, je redécouvrais il y a trois mois, le théâtre Chochotte (ici). Après un trimestre de ravissement, et je dois le confesser, de grand traitement de faveur, il me […]
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