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Fictions érotiques

Genèse

17-Novembre-2063

Elle n’avait pas ce niveau de langage. Les filles ne parlaient pas comme ça à l’époque. Tu ne te souviens pas ?

Je n’étais pas né …

Ah oui, tu as échappé aux années 2010-2020 ! Sacré veinard ! Enfin façon de parler. Pour le reste, la surface, ça va. Sauf le sourire. Il est plus complexe. Quelque chose entre le plaisir de tenir l’autre, genre « je sais très bien ce que tu veux » et la frustration de ne pas être reconnue à sa juste valeur … Tu n’as pas vu le pli à la commissure des lèvres ?

Oui, il y a quelque chose de contrarié. Elle devait être fière ?

Fière ? Tu rigoles ? Elle était vaniteuse comme personne !

– …

Après le « stand up point » je suis revenu au lab, « to do list » en poche. « Thérèse » sera la douzième de notre série de Dance-Bots. Notre Vénérable Guide (VG) a longuement hésité avant de donner le « go », mais quelques fidèles réclamaient leur ancienne égérie avec ardeur …

Avant d’aller plus loin, il faut que je me présente. Je m’appelle Ismaël. Embarqué depuis trois ans – c’est-à-dire novembre 2060 – dans notre communauté techno-masculiniste sise Hôtel de Bourrienne. Je dois essentiellement à mes compétences en Intelligence Artificielle et à mon désir de rejoindre une communauté fraternelle à la testostérone créative, d’avoir été admis au sein de ce phalanstère exclusivement masculin.

La liturgie des Heures rythmant nos journées dès Laudes (ce qui correspondait autrefois aux premières heures du jour, lorsque le jour naturel existait encore), la glorification du travail, la haute tenue des cérémonies rituelles nous plongeant hors l’espace et le temps, nos agapes fraternelles, tout ce cadre néo-monacal me plait infiniment. La Règle, comme celle de Saint-Benoît, nous permettra j’en suis certain de traverser les ténèbres en travaillant à l’avénement d’une humanité meilleure.

L’absence de femmes dans notre communauté n’a été que peu débattue. Nous avons unanimement rejeté toute tentative d’admission. Il faut confesser que les années précèdant la disparition de notre ancien monde ont irrémédiablement creusé le fossé entre les sexes – je précise afin qu’il n’y ait pas d’ambiguïté les XX et XY. Les communautés néo-féministes, queer, et leurs divisions vindicatives augmentées des « intersections » ont menées ces « tribus » vers les précipices de la violence. Les anathèmes et excommunications faisant logiquement couler le sang des hérésies…

Elles nous ont conduit à un principe de précaution : éviter, comme Adam aurait dû le faire avec le fruit de l’Arbre, tout risque de discorde, et ce qui pourrait entâcher notre fraternelle concorde.

Reconnaissant néanmoins que le « désir sexuel » stimulé par la testostérone est la source de toute véritable activité créative, et qu’une grande partie de nos Frères se sont autrefois rencontrés dans trois théâtres érotiques parisiens (aujourd’hui disparus) – les Show Girl, Chochotte et Sweet Paradise -, notre Vénérable Guide a décidé de lancer le projet Sweet Hell dont l’objectif est, en utilisant les stimulations que ces lieux proposaient, de ressusciter notre libido sentiendi – le désir charnel – des fidèles, pour en dériver les meilleurs effets de bord, notamment ceux de la libido sciendi – le désir de savoir.

C’est ainsi que notre équipe composite de généticiens, chirurgiens, UX designer, éducateurs, spécialistes en Intelligence Artificielle et bien d’autres encore, ont réussi à donner naissance à une première danseuse, à la parfaite forme humaine, mais animée par de puissants algorithmes s’exécutant dans le huis-clos d’un cortex de silicium.

Je me souviens avec émotion des premiers pas puis du baptême de notre nouvelle Ève dans la petite cave voutée de l’Hôtel Bourrienne.

Les décors rappelaient selon notre Vénérable Guide et son collège d’Officiers, la magnificence surannée de la cave de la Rue Saint-André des Arts, et les vitraux rétro-éclairés de scènes saphiques, la splendeur libidineuse de la rue des Halles …        

3 réponses sur « Genèse »

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