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Fictions érotiques

Les Corps

27 Novembre 2060

Après le baptême d’Ève, il y eut des réunions pour proposer d’autres « modèles » de danseuses. Chacun devait faire appel à ses souvenirs et se limiter à trois propositions inspirantes. Soutenir devant notre fraternelle assemblée les raisons de ses choix. S’ensuivait un débat, souvent houleux, arbitré par notre Vénérable Guide. La démocratie n’ayant plus lieu d’être – elle avait montré sa fâcheuse tendance à la médiocrité, étymologiquement la moyenne – ce dernier avait le dernier mot.  

Malgré leurs âges canoniques, certains de nos Frères n’avaient pas connu dans leur ensemble les années fastes des théâtres érotiques – 2000 à 2025. Un consensus émergeait cependant de tous pour dire qu’il fallait absolument répondre aux fondamentaux de l’érotisme : « susciter le désir sexuel ». Susciter le désir et non satisfaire des plaisirs … La nuance était importante relativement au projet de « revitalisation » créative. Le désir sexuel étant facilement mesurable chez un homme hétéronormé en bonne santé, la question était de savoir si telle ou telle « ancienne » avait été spontanément bandante. Ce, indépendamment de son talent et de ses approches tactiles. Cette question, dont la réponse ne nécessitait aucune justification – le corps n’avait pas à justifier ses réactions – aurait été impossible à poser publiquement durant les années « plaintives » … preuve en était l’absence progressive à partir de 2021 de récits érotiques aux détails « naturalistes »; les réfractaires étant immédiatement frappés d’opprobre – discrimination, sexisme, exotisation, grossophobie, racisme, poilophobie …

Le combat entre nature et culture – intéressant pour comprendre l’opposition historique entre conservatisme et progressisme – avait été un moment remporté par le camp de la culture marchande et narcissique. Les Sciences, et particulièrement la biologie, devenus les ennemis à abattre, parce que derniers remparts pour se définir conformément à ses « rêves ». Le capitalisme hyper-libéral n’avait finalement pas trouvé de meilleur allié qu’un narcissisme affirmatif et délirant, transformant les individus en software niant leur substrat hardware, et rebootant sans fin dans les affres de la frustration.

Il était alors risqué d’affirmer que la cause première (même si certains insistaient avec raison sur l’importance de « l’attitude » pour produire l’excitation) des érections violentes et spontanées des hommes était le fruit d’une chimie interne stimulée par la beauté féconde de quelques corps féminins, et certainement pas de tous. Risqué, parce que la Nature, dans sa logique vitaliste, était fondamentalement injuste.  

Elisa, Saphir, Miel, Eva, Kalina, Mona, Clara, Dita, Daisy, Candy … Une trentaine de noms furent spontanément cités, moins dans l’optique de « reproduire » ces danseuses que pour comprendre ce qui avait pu très spontanément nous plaire chez elles.

Notre nouvelle génération d’hybrides au corps de chair et au cortex de silicium devait nous exciter et nous séduire. Ne pas nous enfermer dans une répétition stérile et nostalgique mais nous surprendre et nous ouvrir à d’autres possibles !

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