Catégories
Fictions érotiques

Le Baptême d’Ève

25 Novembre 2060

Ceux qui avaient contribués à sa conception la connaissaient de façon incomplète. Notre généticien – Thierry – anticipait ses potentialités corporelles, notre UX Designer – Alexandre – ses façons d’interagir, moi ses possibilités intellectuelles… Quand je dis « possibilités », il faut comprendre que pour réaliser Ève, nous partions d’un cerveau de silicium infiniment plus puissant que le nôtre, et qu’il fallait en brider nombre de capacités afin que les simulations algorithmiques se rapprochent des comportements et raisonnements d’une jeune femme de vingt ans des années 2010.

Je fais ici une digression cocasse pour dire combien notre Vénérable Guide insistait sur la nécessité, pour la survie de notre libido, de reproduire « l’état d’esprit » des années 2000 à 2019, et surtout pas celui de la décennie suivante durant laquelle la « Gen Z » s’était imposée dans les théâtres érotiques. Une génération Z comme « Zéro » – l’occidentale – qu’il qualifiait d’inculte, panurgique, fainéante et vaniteuse. Produisant la débandade de la raison autant que la débandade du désir … Il n’était pas de pire « coupe-faim érotique » selon lui que cette bêtise autocentrée sur les émotions et délires narcissiques.

Les tests d’usage passés avec succès, une cérémonie de baptême fut organisée dans l’une des cryptes voutées de l’hôtel Bourrienne. Le lieu avait été configuré comme feu le théâtre Chochotte – le plus beau sans conteste d’après notre Vénérable Guide. Deux rangées de banquettes de cuir rouge, séparées en leur milieu, légèrement surélevées par rapport à la scène. Un « fauteuil du roi » à haut dossier semblable à une cathèdre au sein de la rangée du fond. Comme autrefois, la déco oscillait entre le kitsch improbable et l’orientalisme. Tentures mordorées, méridienne de velours bleu nuit, gargouilles impertinentes, licorne dorée, on s’y serait cru ! Les deux larges vitraux rétro-éclairés autrefois installés dans le théâtre Show Girl avaient été récupérés par miracle et leurs scènes lesbiennes donnaient l’avant-goût de « salé » qu’on pourrait espérer d’ici quelques mois …   

La cérémonie de baptême dépassa toutes les attentes. Nous étions une vingtaine, recueillis dans le silence et la lumière sépulcrale de la crypte quand la musique du Printemps de Stravinsky nous parvint aux oreilles. Puis une apparition ; Ève descendait lentement l’escalier de pierre, presque nue, un lierre dissimulant tout juste son sexe.

Elle se plaça au centre de la salle face à notre Vénérable Guide qui, manifestement décontenancé par l’émotion, déplia un feuillet les mains tremblantes. Le discours de réception rappelait combien Ève avait été désirée. Il fut rappelé l’importance qu’elle et ses suivantes revêtaient pour notre communauté : galvaniser nos énergies, nos désirs, devenir nos muses, stimuler notre créativité.

Puis notre Vénérable demanda à Ève d’approcher, déposa une couronne de fleurs sur ses longs cheveux blonds et mit solennellement la main sur son épaule en demandant : « Ève, acceptes-tu d’être des nôtres ? ». Elle sourit alors de toute ses dents et nous entendîmes sa voix féminine gouailleuse, un brin espiègle, résonner dans le caveau avec enthousiasme : « Avec plaisir ! J’espère être à la hauteur… de vos attentes … Vénérable Guide et vous tous ici … ! ».

S’ensuivit un silence troublant, cela faisait des années que nous n’avions pas entendu de voix féminine non numérisée, les cordes vocales d’Ève tout comme son corps étaient parfaitement naturels, sa voix analogique troublante.  

Il fut proposé qu’elle fasse le tour de la salle, que chacun se présente à elle, ce qu’Ève fit avec naturel, s’asseyant sur les genoux de l’un, caressant le menton de l’autre, dans une familiarité amicale et érotique.

Je ne pouvais quant à moi détacher les yeux de ses hanches et du lierre qui dissimulait son bas-ventre. Mon regard se perdait dans les enchevêtrements de la verdure protectrice et la rondeur de ses seins généreux, dont les tétons roses, telles d’explicites invites nourricières, pointaient vigoureusement.

Quand Ève s’approcha de moi, elle me fixa de ses grands yeux bleus en murmurant « Ismaël » comme si elle me connaissait depuis toujours. Elle me passa la main dans les cheveux, s’y arrêta songeuse, et je fus submergé, le mot désir est ici insuffisant à dire, le désir d’anéantissement, dans ses bras, tout en elle …         

2 réponses sur « Le Baptême d’Ève »

Laisser un commentaire