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La Distance

13 Décembre 2060

Lorsqu’Ève sortit de l’utérus technologique de notre labo, il fut question de savoir où on la logerait. L’hôtel de Bourrienne était vaste et notre Vénérable Guide proposa que l’on dédie l’aile nord du bâtiment aux appartements des Dance-Bot.

Quelques Frères s’élevèrent contre cette distanciation sociale et insistèrent pour que les nouvelles venues participent à la vie quotidienne. Après tout, leur corps fait de chair pouvait servir aux activités manuelles et surtout, leur cortex de silicium, bien plus puissants que les nôtres, pourraient utilement contribuer aux travaux de recherche scientifique.

Les demandes de mixité sociale furent immédiatement douchées par notre Vénérable. Selon lui, la séparation d’avec les Dance-bot, hormis lors des séances rituelles du Samedi, était indissociable de leur puissance érotique. Il rappelait que ce qui avait ruiné l’érotisme dans les années 2010-2020, réduisant un désir viscéral, vital, en un simple divertissement avait été la prolifération des offres d’accès quasi-gratuites et immédiates au corps de la femme. L’ accès visuel proposé par les innombrables plateformes de films X, l’accès charnel via la multiplicité des offres de prostitution à « portée de clic » … Cette pléthore de propositions insatisfaisantes expliquait selon lui la demande sans fin d’exhausteurs de désir : secours de la violence et de la douleur, pratiques borderline, dopage médicamenteux, alcool, drogues …


Les « projections » fantasmées que chacun pouvait autrefois entretenir au souvenir de superbes femmes s’étant dévoilées dans les spectacles érotiques avait été d’autres part ruinées par leurs expositions pathétiques sur les réseaux sociaux … Il n’y avait pas de pire coupe-faim que la bêtise narcissique.

S’ajoutait à cela l’effacement de la « distance » symbolique entre hommes et femmes, réduite en un sympathique et camarade gloubi-boulga fusionnant genres et comportements. Le désir de l’Autre – le risque de l’altérité radicale – disparaissait dans le confort de la possibilité onaniste; le soulagement immédiat et peu couteux d’une démangeaison …

Pour notre Vénérable Guide, le mystère féminin, composante essentielle de l’érotisme, devait être restauré. Sacralisé. Et il était hors de question de le gâcher à nouveau dans la facilité consumériste et vulgaire des âges médiocres. Il concluait dans cet accès de nostalgie qui parfois lui mouillait les yeux : « La seule qui ait jamais compris quelque chose à l’érotisme, c’était Mademoiselle Anaïs … ».  

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