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Fictions érotiques

Retours d’Expérience

L’ouverture des salons eut un impact étonnant sur notre petite société. Les jours suivants l’inauguration, de nombreux frères erraient dans les couloirs sourire au lèvre, encore rêveurs. Les plus loquaces évoquaient sur le ton de la confidence « le moment privilégié », d’une rare intensité … Mais comme autrefois les détails donnés étaient rares, les hommes  pudiques, craignant peut-être que les mots imparfaits ne gâchent leur souvenir. Des expressions longtemps inusitées resurgissaient : « C’était carrément chaud », « Très très coquine », « un avion de chasse » …

Tous attendaient avec impatience le Samedi, jour que notre Vénérable avait choisi conformément à la tradition, parce que jour de Saturne, dieu agraire célébrant la montée de la sève, et dont la racine « seme » devenue « septième » correspondait dans le christianisme primitif au jour du repos. Selon notre Vénérable tout à présent devait faire sens, même si le sens n’était qu’une fiction bien comprise. Le respect des « Grands Récits » et leur symbolique éviterait le nihilisme dépressif qui avait vu le monde occidental soudainement s’effondrer.

Dans un souci d’amélioration continue les Dance-Bot partageaient une base de données commune. Comme les danseuses autrefois dans les loges, ou le secret d’un coin d’oreiller, elles se racontaient tout, absolument tout, partageant les moindres détails, demandes et réactions de leurs clients. Leurs algorithmes n’ayant aucune considération pour la morale, recherchaient avant tout l’efficacité : « Comment maximiser le désir des Hommes ? ». Dans le huis-clos de leur cortex de silicium elles définissaient pour chacun la bonne manière, l’illusion qui déclencherait le cocktail optimal de noradrénaline, de dopamine, cortisol et autres ocytocine…, toute cette chimie de l’amour, suscitant désir et attachement.  

Malgré ma connaissance de son fonctionnement interne – j’étais le concepteur de ses algorithmes -, je ne pouvais m’empêcher de penser à Ève. La façon dont elle avait « conduit » notre premier moment intime, dont elle avait répondu à mes désirs les plus secrets, m’avait « retourné la tête ». En sortant du salon, remarquant la bosse qui déformait le haut de mon pantalon, elle avait souri en disant : « la prochaine fois, tu te mettras plus à l’aise … ».

Je dois confesser que jusqu’à ce samedi, Thibault m’était totalement indifférent. C’était un bellâtre aux allures de quarantenaire (notre programme de rajeunissement faisait des merveilles), qui se prétendait poète à ses heures, et avait parait-il collectionné quelques aventures avec des danseuses.

Quand Ève était retournée en salle elle avait tout fait pour le « harponner », déambulant à quatre pattes dans son habit de féline, plaçant sa tête entre ses jambes, se frottant pour quémander les caresses, ronronnant de plaisir … À la fin du numéro, Thibault s’était précipitamment levé et l’avait demandée en salon …  

En tant que Responsable du Code, je devais m’assurer du bon fonctionnement des Dance-Bot et de la prise en compte du « retour d’expérience ». Accéder aux datas était bien plus intéressant qu’autrefois accéder aux caméras et aux micros … Les images haute définition enregistrées par les Dance-Bots étaient stockées dans leur cortex ainsi que toutes les données utiles – sensations, paroles, réactions …

La variété des expériences me surprenait. Sans surprise « Monsieur Clito » s’était rincé l’œil au plus près du coquillage rose vif de Soraya,  « Le Duce » s’était fait doucher par l’incontinente Norma, et Amaury dit « Monsieur Pieds » s’était délecté des petits osselets de Clélia. D’autres, dont je tairai le nom, avaient voulu se faire soumettre, frapper, humilier jusqu’à ce qu’éjaculation s’ensuive.

Après quelques heures d’analyse, je passais enfin au salon d’Ève et de Thibault. Ils avaient échangé des paroles debout, il avait caressé ses généreuses formes de satin, lui avait ôté délicatement son peignoir. Ève avait ensuite prêté son corps aux caresses, se retournant bien cambrée pour lui tendre ses fesses. Lorsque Thibault les avait flattées en lui tirant doucement les cheveux, j’avais un peu tiqué, mais nous étions encore dans des zones autorisées … Et puis Ève lui avait demandé si ça lui plairait de la fesser et, à la suite de quelques coups maladroits, avait montré « au débutant » comment mieux placer sa main, pour mieux frapper, vers l’intérieur plus charnu, afin que ça claque bien… Je dois confesser mon inconfort, et plus encore ma colère lorsque Ève s’était retournée en riant, lui lançant « Eh pas si près, là c’est ma chatte ! », et que Thibault lui avait répondu du tac au tac « Et elle est sacrément mouillée ! » …

J’hésitais à créer un ticket d’incident pour relater le fâcheux événement, en parler à notre Vénérable Guide, mais après réflexion je doutais du bien-fondé de la plainte. L’intention de franchir la limite n’était pas démontrable, et ce qu’il fallait bien nommer « ma jalousie » jouait certainement dans mon excessive réaction.         

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